Les Guerres du Climat, de Harald Welzer

L’image du désert aride sur la couverture de Guerres du Climat, suivi du sous-titre « Pourquoi on tue au XXIème siècle » avertit le lecteur que ce n’est pas l’analyse la plus optimiste de la vie moderne. Luttes pour l’eau potable, nouvelles flambées de violence de masse, nettoyage ethnique, guerres civiles dans les pays les plus pauvres, flux sans fin de réfugiés : tels sont les nouveaux conflits et forces qui façonnent le monde du XXIème siècle.

Harald Welzer analyse la relation entre changement climatique et violence, en s’appuyant sur les exemples historiques et actuels de la disparition des habitants de l’île de Pâques, de l’holocauste en Allemagne nazie, du génocide au Rwanda et de l’émergence de la force frontalière européenne. Le livre offre beaucoup de matière à réflexion sur les types de violence qui peuvent être associés au changement climatique, mais il y a d’autres façons de penser à notre avenir climatique que Welzer ne considère pas comme pouvant offrir un peu plus de lumière.

Welzer met en place son argumentation en passant par les causes de Tuer Hier, Tuer Aujourd’hui, et Tuer Demain dans trois chapitres de ces noms. Dans Tuer Hier, il affirme que la violence historique en Yougoslavie, au Vietnam, au Rwanda et en Allemagne nazie était en rapport avec la perception et le cadrage, développant des mentalités « nous » et « eux » qui permettaient à ces groupes se croyant menacés de s’assassiner les uns les autres. Il décrit comment les réalités changeantes des chocs politiques ou sociaux conduisent souvent à la résolution de problèmes violents lorsque les individus et les communautés se réadaptent à leur environnement changé. Il affirme également que les nettoyages ethniques et les génocides des 19ème et 20ème siècles pourraient être compris comme étant intrinsèquement lié à la modernisation. Selon ce raisonnement, toute grande transformation sociale telle que la mondialisation ou le changement climatique pourrait conduire à de telles formes de violence.

Tuer Aujourd’hui explore le rôle des cadres de référence, le surpeuplement et les métaphores dans la création de conflits. Welzer considère le Darfour comme la première « guerre climatique » et note que même si ce type de conflit est en évolution constante, la guerre quant à elle continue car aucun des ressortissants ne peut gagner décisivement ou a vraiment intérêt à assurer la paix. Il ajoute que la violence causée par le changement climatique ne sera pas nécessairement sous forme de guerre entre Etats motivée par des questions de sécurité nationale ou de souveraineté territoriale, mais plutôt que cette violence sera causée par des pénuries d’eau potable, de nourriture, de détérioration de la santé et du niveau de vie dans certaines parties du monde. Ceci touche à l’une des questions clés du changement climatique et l’un des thèmes centraux du livre, c’est-à-dire l’injustice des effets du changement climatique qui affectera gravement les populations qui n’ont pas contribué à le provoquer.

Regardant vers l’avenir, Welzer décrit une guerre incessante, lutte aux frontières, nettoyage ethnique et intensification des guerres interétatiques. L’exemple de Frontex, l’Agence européenne des frontières qui surveille les côtes européennes et l’extension des frontières, offre une façon d’imaginer comment les pays occidentaux chercheront à se protéger des pressions extérieures créant d’énormes vagues d’immigration. Welzer utilise le raisonnement psychologique pour explorer comment le changement climatique défie nos modèles mentaux, comment nous pouvons prendre de fausses décisions basées sur une compréhension imparfaite ou narrative des shifting baselines ou d’une situation. Ces références en changement constant engendrent une amnésie certes collective mais aussi générationnelle et personnelle. Ainsi le manque de transmission de connaissances et de perceptions par les générations précédentes et l’oubli de sa propre expérience (par exemple le nombre de poissons dans une mare de notre enfance) caractérise la sélectivité de la mémoire humaine.

Enfin, Welzer questionne comment réagir face à cette sombre image émergente. Ici, le livre ne cherche pas à déceler le lien entre l’augmentation de la violence et le changement climatique, mais à s’attaquer aux causes du changement climatique. Welzer soutient ainsi que nous devons utiliser le changement climatique comme fondement du renouveau culturel.

Tandis que Welzer dresse un portrait convaincant des types de violence et des troubles grandissants auxquels nous sommes confrontés, la quantité de détails et d’anecdotes historiques obscurcit la création d’un argument plus large. Il documente et explore les multiples manifestations du lien violence/climat, mais son analyse ne dépasse pas son pessimisme. Ce manque d’un argument global est d’autant plus présent dans les chapitres conclusifs quand Welzer aborde plus largement le changement climatique.

Welzer montre que de nouvelles formes de conflit et de violence constitueront une part importante de la réponse de la société au changement climatique. C’est donc quelque chose avec lequel nous devons nous engager de manière productive, et chercher à transformer. L’adaptation au changement climatique apparaît comme un domaine important et sera une source de nouveaux fonds pour les pays en développement à l’avenir. Cela offre une occasion d’aborder les sources de la violence climatique croissante et de dissocier la violence de l’aggravation des conditions climatiques. Sans remettre en cause le pessimisme de Welzer sur l’état du climat, celui-ci ne conduit pas nécessairement au fatalisme sur la direction de la société.

Les sciences sociales ont débattu de la façon dont le changement climatique remet en question la théorie sociale et comment nous pouvons l’utiliser pour encourager le changement culturel, la justice sociale et les transformations sociétales, mais Welzer ignore ces discussions. Les mouvements sociaux, les villes et certains États-nations s’engagent dans des actions de lutte contre le changement climatique et travaillent sur la justice climatique dans ces contextes. Pour conclure, le changement climatique soulève de nombreux défis sociaux, dont l’aggravation de la violence, mais il pourrait également fondamentalement remettre en question nos hypothèses sociales et les cadres politiques, et agir comme une force pour le changement social et un nouveau paradigme de développement.

Bibliographie

Welzer, Harald (2012) Les Guerres du Climat: POurquoi on tue au XXIème siècle. Gallimard: Folio Actuel.

– Elinor –

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